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? Égypte 2016: Moubarak, Morsi ou Sissi, lequel est le pire

Mamdouh Habashi ممدوح حبشي

Translated by  Jacques Boutard

Edited by  Fausto Giudice Фаусто Джудиче فاوستو جيوديشي

http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=20120

2016 a été une année très difficile pour les Égyptiens. La plupart -qu’il s’agisse de gens du peuple ou de membres de la classe politique- disent même qu’elle a été/ qu’elle est la pire année de l’histoire du pays.

La violente réaction contre  la «révolution» ou rébellion de 2011, ses objectifs, ses symboles et ses représentants, n’est plus à mettre sur le compte des excès de certains «moubarakistes», mais fait clairement partie de la politique du régime.  Cela d’autant plus qu’un nombre croissant d’Égyptiens sont nostalgiques de l’époque de Moubarak. Ils s’en prennent à la révolution de 2011 et non à la politique du régime en place.

Dans de larges secteurs d’une population lourdement défavorisée, le régime de Sissi a réussi à alimenter la crainte d’un sort comparable à celui de la Syrie, de l’Irak, de la Libye ou du Yémen, afin de rendre cette crainte plus forte que toute volonté de changement. Par la guerre contre le terrorisme, le régime justifie toutes ses mesures impopulaires. En 2016, toutes les mesures prises dans le cadre de toutes les actions politiques ont été impopulaires, voire extrêmement  impopulaires.

Au cours des deux premières années de son mandat de président, de nombreux ministres et gouverneurs ont été les victimes de ces politiques «impopulaires» et ont servi de boucs émissaires. Cela était nécessaire pour renforcer l’image du grand «sauveur», le général Sissi, au-delà de tout doute. Néanmoins, les nombreux «boucs émissaires» de 2016 ne suffisaient plus. L’image du «dictateur juste» a été largement écornée.

Bien que tous les régimes doivent s’efforcent de réussir dans au moins un des aspects de leur action politique, afin de compenser ou de détourner l’attention de leurs échecs dans d’autres domaines, le régime Sissi, en 2016, a réussi à échouer totalement,  à tous les niveaux et dans tous les domaines, et à faire passer ses échecs  pour des succès, voire pour des victoires. Et comme cela est difficilement concevable, j’aimerais aborder les aspects suivants de la politique du régime Sissi en 2016 :

1.  L’économie et la lutte contre la corruption;

2.  La démocratie, l’État de droit et la sécurité intérieure;

3.  La politique étrangère.

L’économie et la lutte contre la corruption

Pour tout nouveau régime, l’économie est toujours la chose la plus importante. Si l’économie fonctionne, le régime peut se permettre d’échouer dans d’autres domaines. Mais c’est exactement le contraire qui s’est produit. Aujourd’hui, l’état de l’économie et la corruption sont pires que jamais.

Lors d’une interview télévisée diffusée le 27 décembre 2015, M. Geneina, président de la Cour des Comptes, a été invité à estimer le coût direct de la corruption pour l’économie nationale de 2011 à 2015. Il l’a estimé à 600 milliards de livres égyptiennes [=30 Md. €]. Sur les milliers de cas de corruption qu’il a transmis au parquet général, seulement 7% avaient été traités; 93% n’avaient pas été  examinés du tout, a-t-il ajouté.

Où sont les pauvres? Pourquoi je ne peux pas les voir ?

Le Parlement ne s’est pas élevé contre les personnes corrompues nommées dans le rapport, mais contre Geneina lui-même et son rapport. Leur raisonnement était le suivant : Geneina faisait partie d’une grande conspiration contre l’Égypte, il aurait donc exagéré les données de la corruption afin de nuire à l’image du pays à l’étranger et décourager  les investisseurs d’investir en Égypte. Immédiatement, le gouvernement a bloqué l’information et le rapport n’a pas été publié.

La position que Geneina détenait jouissait d’une immunité inviolable depuis la création de cette autorité sous Nasser. En deux semaines, le Parlement vota une loi inconstitutionnelle qui permettait au Président de renvoyer Geneina. Celui-ci fut congédié immédiatement après. Mais cela ne suffisait pas. Les puissants corrompus du pays se devaient de faire un exemple dans l’affaire Geneina. Il fut jugé devant un tribunal de droit commun, qui le condamna à une peine de deux ans de prison ferme. Le jour même, il dut coucher à même le sol – sans lit – d’une cellule de prison.

Un «lanceur d’alertes» de son équipe a fait sortir  le rapport clandestinement et l’a posté sur Internet, mais personne n’ose en parler. Ainsi, l’Égypte a glissé de la  88e place sur 167 à la 108e sur 179 dans le classement de “Transparency International”.

Les militaires

Depuis des décennies, l’irritation des détenteurs de capital productif égyptiens ne cesse de grandir à l’encontre de la part toujours croissante prise par les forces armées dans l’économie nationale. En 2016, cette irritation a pris de telles proportions que le général Sissi lui même a été contraint de démentir cette “rumeur” dans son discours de décembre. Il a affirmé que la part de l’armée dans l’ensemble de l’économie était comprise entre 1,5 et 2%, ce qui a provoqué un énorme éclat de rire dans le pays.

Les entreprises privées locales souffrent de cette concurrence déloyale avec les militaires. De nos jours, il n’y a aucune branche de l’économie dans laquelle l’armée ne soit pas impliquée, en y prenant une part toujours plus importante : l’industrie, l’agriculture, l’immobilier et le BTP, le commerce de gros et de détail, l’import-export, la santé, etc.

Dans le numéro de février 2017 de SWP-Aktuell1, Jessica Noll a traité ce phénomène. Sous le titre «L’armée égyptienne a cimenté son pouvoir économique», elle écrit dans l’introduction: «… Il est plus qu’improbable, dans ces conditions, que les réformes structurelles exigées par le FMI et que le Caire a approuvées en novembre 2016 puissent être réalisées. En outre, les bailleurs de fonds internationaux devraient exhorter la direction égyptienne à réduire les droits spéciaux des militaires … “

Selon elle, “l’intensification de la coopération entre l’armée et l’économie privée fait que des structures de dépendance s’établissent. Pour les entreprises privées, l’expansion économique des forces armées a rendu plus difficile de remporter des  appels d’offres publics parce que les militaires peuvent faire des offres à moindre coût. Si les entreprises veulent être économiquement viables, elles sont de plus en plus dépendantes de la coopération avec les forces armées, ces dernières étant clairement en position dominante”2.

“… Puisque les bas prix ne sont possibles qu’en raison des avantages et des privilèges de l’armée, la concurrence est gravement faussée… Les militaires ont un avantage concurrentiel supplémentaire parce que leurs activités économiques sont exonérées d’impôts”3.

En plus du recours au “travail d’esclave” de recrues payées au rabais, ils n’ont pas à payer l’énergie ou l’eau qu’ils consomment pour leurs projets, ni à fournir des garanties. Et un important facteur supplémentaire de coût  auquel seul le secteur privé a à faire face sont les obstacles de nature bureaucratique. C’est là la principale source de corruption dans la fonction publique, qui exige toutes sortes de permis, de confirmations, de certificats, d’enregistrements, de licences, etc

“… De plus, ni le pouvoir judiciaire ni les autres autorités civiles de contrôle ne peuvent sanctionner les infractions des militaires, le personnel militaire actif ainsi que les anciens militaires étant protégés contre les actions de la justice civile par un décret de 2011.  Cette protection s’applique également aux activités économiques exercées par les militaires qui, en raison de leur classement comme «ayant trait à la sécurité du pays», sont complètement opaques et bénéficient d’un net avantage”.4

“… Les organisations non gouvernementales qui ont pour objectif une plus grande transparence et le respect de l’État de droit sont systématiquement poursuivies et entravées dans leur travail depuis l’arrivée de Sissi. Les médias se révèlent également être un obstacle. En Égypte, la liberté de la presse est sévèrement limitée; un rapport critique sur l’armée est bloqué par la censure d’État “.

Le piège de la dette

Quand Nasser est mort le 28 septembre 1970, le montant total des dettes de l’Égypte était de 1,7 milliard de dollars, y compris les dettes envers l’Union Soviétique, qui avaient toutes été effacées dans le cadre d’une réduction de dette après la guerre de 1967. Sadat a réorienté la politique générale vers les USA et la politique financière vers le FMI. Malgré la guerre de 1973 au cours de laquelle la péninsule du Sinaï a été reconquise, les dettes s’élevaient  à moins 2,5 milliards de dollars US au début de 1974.

En février 1974 ont été adoptée les fameuses lois de néolibéralisation, surnommées alors  «politique de la porte ouverte». Les conditions du prêt du FMI de 1976 de 185,7 millions de dollars ont entraîné une hausse soudaine des prix des denrées alimentaires de base de 30 à 50%, qui a mené à l’insurrection des 18 et 19 janvier 1977. Cette insurrection ne put être écrasée que par une intervention militaire massive, se soldant par plus de 300 morts et des milliers d’arrestations.

Au cours des années 1980, le fardeau de la dette a augmenté et le gouvernement égyptien a dû présenter un rapport annuel sur sa politique au Club de Paris. La participation de l’armée égyptienne à la deuxième guerre du Golfe pour la libération du Koweït en 1991, qui a légitimé l’intervention militaire des alliés occidentaux, a été récompensée par un allégement de la dette de 50%.

Lorsque le soulèvement de janvier 2011 a éclaté, la dette totale était d’environ 83% du PIB (1 dollar US valait alors 5,6 livres). À la fin de 2015, la dette totale avait atteint la barre de 100% du PIB. Ainsi, le service de la dette coûtait annuellement plus d’un tiers du budget national (1 dollar US équivalait alors à 7,8 livres). Le moment critique est survenu avec le crédit de 12 milliards de dollars du FMI pour 2016, dont les conditions doivent être remplies avant le paiement de la première tranche.

Les résultats de la fameuse recette que constituent les prêts du FMI sont suffisamment testés et connus. Pas une seule fois elle n’a été couronnée de succès; au contraire, elle s’est toujours soldée par des catastrophes économiques, toujours associées aux tensions et aux troubles sociaux.

Le 3 novembre 2016, le gouvernement égyptien a augmenté les prix de l’énergie (essence, diesel, gaz, électricité) d’environ 50%. Quelques heures plus tard, la livre égyptienne a été dévaluée d’environ 50% et les prix de tous les biens et services ont grimpé en flèche. Les conséquences ont été dévastatrices: l’économie a  failli s’effondrer. La part de la population qui vit sous le seuil de pauvreté a presque doublé.

.”… Par suite de la dévaluation de la livre égyptienne contre le dollar US de quelque 130 pour cent, les prix dans le pays ont augmenté de plus de 40 pour cent en 2016.”5

Le vrai problème – qui est aussi la cause de cette misère – persiste. L’argent emprunté n’est pas reversé dans des investissements réels et raisonnables, dans l’industrie et l’agriculture, mais va essentiellement au service de la dette existante et aux nécessaires importations, qui détruisent systématiquement les structures existantes des forces productives.

Le goulet d’étranglement

Cela fait maintenant plus de deux ans que les médias du régime – il n’y en a pratiquement pas d’autres – ont asséné le même discours : ce n’est qu’un goulet d’étranglement passager, et l’embellie adviendra dès que les grands projets de l’armée auront porté leurs fruits. Ce sont de grands projets sous la direction de l’armée aux ordres de Sissi.

Ni dans le monde professionnel ni dans la société il n’y a  eu le moindre débat sur leur nécessité, leur utilité, leur rentabilité, non plus que sur leur niveau de priorité. Des projets tels que l’expansion du canal de Suez, la construction de la nouvelle capitale administrative, la mise en culture de 630 000 hectares dans le désert (pour laquelle il n’y a pas assez d’eau) et les milliers de kilomètres de routes inutiles au milieu du désert sont un frein à un développement raisonné. D’une part, ces projets  assèchent les réserves financières déjà précaires, aggravant la spirale de la dette et d’autre part, ils stimulent la sauvage «demande de corruption», en particulier chez les militaires.

Immédiatement après la décision de laisser de laisser flotter la livre, sa valeur est tombée en chute libre par rapport au dollar US. Afin d’y remédier en l’absence de grandes réserves de change, le gouvernement a offert des titres avec des taux d’intérêt de 20% à toutes les banques d’État pour renforcer la demande sur la monnaie égyptienne. Cette mesure a conduit d’une part, à pratiquement interdire le crédit aux moyennes et aux petites entreprises et, d’autre part – comme il y a un manque d’investissement – à alimenter l’inflation dont le taux «officiel» est déjà de plus de 20%.

En raison de l’état catastrophique de l’économie égyptienne, une équipe d’experts du Comité des relations internationales du Congrès US et de la Maison Blanche a présenté à l’administration Trump un rapport «top secret» le 18 janvier6. Voici la conclusion de ce rapport de neuf pages dont le code est FC09543J:

L’Égypte approche dangereusement le seuil d’insolvabilité. En dépit de l’aide des pays du Golfe et du prêt du FMI de 12 milliards de dollars, la combinaison des besoins économiques du pays, de l’héritage des politiques économiques incohérentes du Caire et de la non-transparence du passé, qui se poursuivent aujourd’hui,  de l’opposition politique  aux réformes économiques, de la possibilité de chocs économiques dus à des facteurs extérieurs, tout cela rend tout à fait possible une crise de solvabilité. Les USA et leurs alliés dans le Golfe Persique, en Europe et en Asie devraient se préparer à une telle éventualité. L’attention accrue accordée à la question par les décideurs politiques et les plans visant à prévenir ou à atténuer les conséquences d’un défaut de paiement de la part de l’Égypte se concentrent principalement sur les injections d’aide supplémentaire. Cela aidera certainement l’Égypte à acheter de la nourriture, du carburant et d’autres biens essentiels, mais l’aide extérieure ne résoudra pas le problème. Au mieux, elle donnera aux responsables politiques égyptiens une certaine marge de manœuvre et donc une opportunité d’entreprendre des réformes économiques.

2. Démocratie, État de droit et sécurité intérieure

Autant dans le soulèvement de janvier 2011, qui a conduit au renversement de Moubarak, que dans sa deuxième vague, le soulèvement du 30 juin 2013, qui a conduit au renversement de Morsi, la revendication de la démocratie et de l’État de droit était claire et centrale. C’est pourquoi le général Sissi a dû annoncer la rédaction d’une nouvelle Constitution comme première étape de sa «feuille de route» le 3 juillet. En janvier 2014, cette Constitution est entrée en vigueur, plébiscitée par une large majorité lors d’un référendum national.

La nouvelle Constitution reflétait l’équilibre politique du pouvoir dans la société de l’époque. C’est parce que la “fièvre révolutionnaire” de la rue n’était pas encore complètement retombée que les Égyptiens ont obtenu la meilleure Constitution de leur histoire.

En effet, depuis la fin de la dynastie de Mohammed Ali en 1952, aucun des régimes au pouvoir en Égypte ne s’était couvert de gloire en termes de démocratie et d’État de droit. Depuis que l’armée a pris le contrôle intégral de l’État, l’État de droit est bel et bien terminé.

Dans la phase relativement progressiste (l’ère de Nasser), la justice sociale avait remplacé la démocratie. Après cela, il n’y a plus jamais eu ni justice sociale ni démocratie. L’année 2016, cependant, se distingue: tout indique que les forces de police, haïes de la population, se vengent contre le peuple parce qu’il a osé se rebeller contre elles.

Les discours du régime font référence à l’insurrection de janvier 2011 – un événement qui est reconnu dans la constitution de 2014 comme une révolution de dimension historique – comme à un complot contrôlé de l’extérieur. Il est donc nécessaire d’éradiquer toutes les conséquences de ce complot, de restaurer l’ancien Éat de l’ère Moubarak, c’est-à-dire de supprimer les libertés et les règles de droit qui avaient été obtenues par cette révolution. Un tel objectif ne peut être réalisé que par une extrême violence. Cela s’est passé en 2016. J’aimerais brièvement présenter quelques exemples montrant l’ampleur de l’injustice.

Le cas Regeni

Le docteur Giulio Regeni (28 ans) était un chercheur italien qui travaillait sur les syndicats ouvriers indépendants en Égypte. Il avait prévu de rencontrer un ami dans le centre ville le 25 janvier 2016. Le 3 février 2016, son corps nu a été retrouvé dans le désert, à la périphérie de la Cité du 6 Octobre. La cause de la mort était un accident de la route, a déclaré officiellement le ministère de l’Intérieur.

Le 4 février, un rapport médical du tribunal a confirmé que Regeni avait été soumis à une torture brutale. Le parquet italien a fait état de nombreux rapports révélant l’implication de la police secrète égyptienne dans l’affaire Regeni.

Le 14 mars, un témoin oculaire est apparu à la télévision égyptienne. Son histoire était censée confirmer la version policière. Le récit du témoin, fabriqué par la police, s’avéra bientôt être une pure invention.

Le 24 mars, le ministère de l’Intérieur a annoncé la mort, lors d’une fusillade, de cinq personnes, qui auraient été responsables de l’assassinat et de la torture de Regeni. Le bureau du procureur égyptien a confirmé cette déclaration le 30 mars.

Le 21 avril, l’agence Reuters a publié un rapport s’appuyant sur six sources différentes révélant que la police avait arrêté Regeni le jour de sa disparition. Le même jour, selon le rapport Reuters, le ministère de l’Intérieur a affirmé qu’il n’avait jamais placé Regeni en garde à vue. Peu de temps après, le procureur égyptien a avoué que Regeni avait été gardé à vue par la police secrète. Le 26 avril, l’avocat égyptien de la famille Regeni a été arrêté.

Le 12 juin, la commission d’enquête italienne a accusé le côté égyptien de fausser les faits et d’entraver l’enquête. Le 30 juin, l’Italie a appuyé la pression politique par des sanctions. Le 8 juillet, la mère de Regeni a tenu une conférence de presse, menaçant de publier 250 photos témoignant de la brutalité de la torture.

Le 9 septembre, les enquêteurs égyptiens ont admis à Rome que Regeni était sous surveillance et que les cinq personnes tuées n’avaient rien à voir avec l’affaire, bien que leurs familles soient toujours en état d’arrestation.

Confession, oui, puisque les relations politiques avec l’Italie sont trop importantes pour être troublées par un incident aussi “insignifiant”. Cependant, personne n’a été jugé responsable de ce crime jusqu’à présent. Tout le système d’oppression s’effondrerait s’il devait montrer de telles «faiblesses».

Dans sa conférence de presse, la mère de Regeni a déclaré que la police avait traité son fils comme elle traite les Égyptiens. Cette déclaration a été confirmée mutatis mutandis par le général Sissi lors de la conférence de presse qu’il a tenue avec le président français François Hollande le 19 avril 2016 au Caire. Sissi a corrigé la perception qu’avait Hollande des droits de l’homme: «… les Européens ne savent pas que nous avons d’autres normes en matière de droits de l’homme …»

Manifestation place Tahrir pour exiger la justice pour Regeni, les cinq tués et les martyrs

Tiran et Sanafir

Tiran et Sanafir sont deux petites îles à l’entrée du golfe d’Aqaba dans la mer Rouge, dont on sait qu’elles appartiennent à l’Égypte depuis l’époque de l’Ancien Empire, vers 3000 ans avant JC. Ces deux îles ont une importance militaire et stratégique car elles servent de verrou à l’entrée de cette importante voie navigable. C’est pourquoi beaucoup de sang égyptien y a coulé dans toutes les guerres affectant cette région.

Au début d’avril 2016, les Égyptiens ont été surpris d’apprendre par les médias qu’un nouvel accord avait été signé entre les gouvernements de l’Égypte et de l’Arabie saoudite pour établir les frontières maritimes entre les deux pays. Soudain, les deux îles devenaient possession de l’Arabie Saoudite; En retour, les Saoudiens devaient financer certains projets de développement de la péninsule du Sinaï: le don d’un morceau de terre montrait la gratitude du gouvernement égyptien.

Le 15 avril, des manifestations ont débuté devant la Chambre des Journalistes au centre-ville du Caire. Le mouvement de protestation s’est intensifié quand Sissi a annoncé à la télévision que la question était tranchée et qu’il ne tolèrerait plus la contradiction. Le mouvement de protestation a alors choisi le prochain jour férié (le 25 avril, le retour du Sinaï à l’Égypte après la guerre de 1973) comme l’occasion idéale pour appeler à une manifestation nationale contre l’accord.

Ce jour-là, des manifestants sont descendus dans les rues malgré les lourdes menaces du ministère de l’Intérieur, et bien que les véhicules blindés de la police aient investi tous les lieux de rassemblement prévus. Des centaines d’entre eux ont été arrêtés et condamnés à cinq ans d’emprisonnement et frappés d’une amende de 100 000 livres égyptiennes (11 000 dollars) dans des procès sommaires – tous ont été condamnés à la même peine. La vague de protestations n’a fait qu’augmenter.

Le 2 mai, la police a assiégé la Chambre des Journalistes et demandé l’extradition de deux journalistes qui s’y étaient réfugiés. Ils avaient appelé sur leur blog à la manifestation contre l’accord, comme cela était écrit sur leur mandat d’arrêt. Le Conseil élu de la Chambre des Journalistes, qui jouit de l’immunité, a rejeté l’extradition des deux collègues en s’appuyant sur la Constitution. Sur ce, la police a pris d’assaut le bâtiment de la Chambre et a arrêté les deux journalistes manu militari.

Ironie du sort, cet incident a eu lieu précisément lors de la Journée Internationale de la Liberté de la Presse.

Le 21 juin 2016, le tribunal administratif, dans un jugement historique, a déclaré que les îles étaient toujours égyptiennes et le resteraient. Dès lors, l’Égypte connaît une situation unique dans son histoire. L’État, plus précisément le pouvoir exécutif, a contesté ce verdict majoritaire afin de  nier sa souveraineté sur les îles. Selon les attendus du tribunal, l’État n’avait pas pu fournir un seul document contre les plaignants7 qui avaient fourni des centaines de documents et de preuves.

Les manifestants détenus ont été progressivement libérés mais chacun a dû payer l’amende de 11 000 dollars, ce qui représente une fortune pour l’Égyptien moyen.

Le paradoxe résidait dans la façon dont le régime a combattu ses ennemis dans cette bataille. Il a mobilisé tous les moyens à sa disposition contre les adversaires du projet, en soutenant que, dans cette affaire, ceux qui disaient que les îles étaient égyptiennes étaient des traîtres tandis que ceux qui disaient qu’elles appartenaient à l’Arabie saoudite étaient des patriotes. Bref, le monde à l’envers !

Le 16 janvier 2017, le Tribunal administratif suprême, en dernier ressort, a rendu un dernier verdict irrévocable de 58 pages8: les îles étaient et resteraient pour toujours une partie inaliénable de l’Égypte. En conséquence, l’accord ne tient pas. Néanmoins, le régime tente maintenant de sauver l’accord en le faisant passer par son parlement aux ordres. Logiquement, cela ne devrait pas marcher… mais qu’est-ce qui était logique en 2016 ?

Une fois que cette bataille a perdu de son intensité et qu’on a pris suffisamment de distance, la question se pose: pourquoi l’Arabie saoudite veut-elle ces deux rochers de la Mer Rouge? Et pourquoi maintenant?

L’Arabie Saoudite n’a pas du tout besoin des deux îles. Le problème vient de ce qu’Israël, outre son intérêt stratégique et militaire évident pour cette voie navigable, veut relancer son ancien projet de canal. Ce canal, qui concurrencerait le Canal de Suez, relierait la Mer Rouge à la Méditerranée, via le Golfe d’Aqaba et la Mer Morte. Pour cela, le contrôle sur le golfe d’Aqaba ne doit pas rester aux mains de l’Égypte.

L’Islam politique

Avec l’insurrection du 30 juin 2013, les Égyptiens ont mis fin au pouvoir des Frères Musulmans. La plupart d’entre eux pensaient que le chapitre de l’islam politique et les abus de la religion étaient  refermé une fois pour toutes. Cela a même été entériné par l’article 74 de la Constitution de 2014: aucun parti ne pouvait s’appuyer sur une base religieuse.

Par conséquent, le Parti des Frères Musulmans a été dissous et interdit. Cependant les salafistes et leur vision archaïque du monde n’ont pas disparu. Jusqu’à présent, ils jouissent non seulement de la liberté d’organisation et de mouvement, mais aussi de la coopération des centres de pouvoir de l’État, en une sorte de soutien mutuel.

La séquence ininterrompue d’attentats terroristes islamiques a incité le général Sissi à réitérer son appel aux institutions d’État pour les affaires religieuses (El Azhar et le ministère des Fondations Religieuses) qu’elles puissent renouveler le discours religieux. Cela semble assez hypocrite quand on voit comment les salafistes, surtout dans les campagnes, sont capables d’étendre leur influence et de faire le mal.

Ce qui est en jeu ici, ce sont les droits de ceux qui ont un point de vue différent sur la religion, c’est-à-dire la liberté de religion pour les chrétiens, les baha’is et même les chiites, considérés comme des «incroyants». La liste des attaques basées sur un raisonnement fanatique s’est allongée depuis que le président Sadate avait été à l’origine des premiers incidents sectaires dits de “Zaouiya El Hamra” en 1981*. C’est pourquoi je me limite ici à 2016.

Sept églises – principalement en zone rurale, près de Louxor, Assiout, El Minya, Le Caire et Alexandrie – ont été incendiées. à six reprises, les maisons et les entreprises des chrétiens ont été attaquées, dévalisées et brûlées et eux-mêmes ont été battus et chassés. Dans quatre autres cas, des chrétiens ont été massacrés par décapitation, suivant le rituel sacrificiel de Daech. Cela se passait à Tanta, El Arish, Zagazig et Choubra. Tous ces crimes ont eu lieu à la vue du public.

Le gros problème, cependant, est que, dans aucun de ces cas, le long bras de la loi n’a été assez long pour appréhender les criminels et leur faire rendre des comptes. Le régime insiste pour régler ce genre de «problèmes» de manière extrajudiciaire. C’est pourquoi un organisme appelé The Family House (la Maison Familiale) a été créé. Ainsi, tous les criminels s’en sortent impunément, la terreur islamique est encouragée et les victimes doivent chercher refuge et soutien au sein de l’église institutionnelle et ils ne peuvent pas avoir recours aux tribunaux pour défendre leurs droits comme des dans un État de droit.

En voici deux exemples:

Dans le village de Kom Elloufi, dans le gouvernorat d’El Minya, 15 salafistes ont accusé un fermier chrétien d’avoir “l’intention” de faire une église de sa maison en construction. Le 23 juin 2016, environ 300 musulmans se sont rassemblés devant la maison et l’ont incendiée. L’incendie s’est propagé à trois maisons voisines. Les quatre maisons ont été entièrement brûlées.

Le deuxième incident a également eu lieu à El Minya, dans le village d’El Karm, en octobre 2016, mais les choses ont dérapé et ont causé un véritable scandale moral. Les barbares ont tiré une femme chrétienne âgée de 70 ans hors de chez elle et l’ont traînée dans la rue complètement nue, hurlant hystériquement jusqu’à ce qu’une femme musulmane intervienne pour la sauver.

Le scandale a secoué la société jusque dans ses fondations si violemment que le général Sissi dut s’excuser officiellement auprès de la victime et promettre de faire châtier les coupables. Le 25 janvier 2017, les cinq derniers accusés ont été relâchés et l’affaire a été enterrée. Les appels à l’aide des chrétiens et des musulmans sincères de tout le pays à Sissi sont restés vains jusqu’à ce jour.9

3. Politique étrangère

Même s’il y aurait beaucoup à dire sur ce thème, je me limiterai ici à un seul aspect, qui illustre bien la duplicité de la politique internationale.

L’Occident

Depuis sa prise de pouvoir, le général Sissi tente de convaincre les Occidentaux que l’armée égyptienne est son meilleur et son plus fiable   partenaire dans la région. Il a fallu environ un an pour les convaincre. La visite du ministre allemand des Affaires étrangères Siegmar Gabriel à la conférence “économique” de Sharm-El-Sheikh en mars 2015 en a été le premier signal.

Après cela, l’Occident a complètement cessé de « s’inquiéter pour  la démocratie »   en Égypte et a ouvert un nouveau chapitre dans sa relation avec elle. Le régime Sissi est incontournable pour obtenir un nouvel accord visant à limiter les flux de réfugiés en provenance de la région. Ceci concerne toute l’Afrique et pas seulement les pays en guerre. Ces guerres prennent fin tôt ou tard, mais le développement économique et la lutte contre les maux de la plupart des pays africains est une tâche à long terme pour laquelle les Européens ont besoin d’un puissant gardien de prison comme Sissi. Les Européens peuvent encore moins se permettre  de laisser s’effondrer une Égypte peuplée de plus de 90 millions d’habitants.

Mais personne à l’Ouest ne veut d’un développement propre en Égypte avec des structures quelque peu démocratiques. Cela conduirait à une plus grande indépendance, à des conflits d’intérêts et à un réalignement imprévisible des alliances politiques dans la région. Par conséquent, le régime doit à tout prix être tenu sous «perfusion» occidentale.

Cela explique aussi la nature de ce soutien, que Jessica Noll mentionne avec étonnement dans son article: “… Puisque l’Égypte n’a pas à faire à une forte menace extérieure, il est difficile de justifier que ce pays, qui éprouve de graves problèmes économiques, ait la dixième armée du monde, avec environ 440 000 soldats d’active.10

Dans sa résolution du 25 mai 2016, Amnesty International a critiqué l’Union européenne, affirmant que près de la moitié des États membres de l’UE avaient condamné une interdiction à l’échelle de l’UE des exportations d’armes vers l’Égypte. L’UE risque d’être complice d’une série de meurtres, de disparitions violentes d’opposants et de tortures.11

“Les entreprises d’armement allemandes fournissent depuis des années à l’Égypte des armes et des blindés. Rien qu’entre 2001 et 2013, l’Allemagne a autorisé la vente à l’État du désert d’équipements militaires d’une valeur de plus de 361,8 millions d’euros.

Selon la base de données de la Campagne Contre le Commerce des Armes (CAAT), il s’agit principalement de chars et de véhicules, de matériel électrique, de navires de guerre, de munitions, de matériel technique et d’armes légères, ainsi que de matériel de traitement d’images et d’avions.

Ces exportations d’armes vers l’Égypte ont été approuvées par le gouvernement fédéral allemand, bien que la situation dans le pays, selon les estimations du Centre international de Bonn pour la conversion (BICC), ne laisse pas d’être problématique, surtout ces dernières années.”12

Dans son rapport du 19 décembre 2016, qui doit être présenté au Congrès US, le Service de Recherche du Congrès a placé l’Égypte au sommet des pays en développement pour le volume de ses missions d’assistance technique pour 2015 avec 5,3 milliards de dollars, et à la deuxième place après le Qatar pour le volume des traités de ventes d’armes conclus avec environ 12 milliards de dollars.13

Conclusion

Le régime Sissi veut faire croire aux Égyptiens que leur sort est bien meilleur que celui des Syriens, des Libyens, des Irakiens ou des Yéménites, mais est-ce la réalité?

Une procession sans fin de cercueils de victimes de la terreur au Sinaï et dans d’autres parties du pays, un pays dans lequel les jeunes préfèrent une mort très probable sur une surpeuplée en Méditerranée à la vie dans leur patrie, un revenu en constante diminution, à peine suffisant pour survivre, une inflation galopante, une corruption envahissante à tous les niveaux, des lois et une Constitution piétinées quotidiennement, l’éducation et la santé devenues le privilège des super-riches, un État incapable d’assurer la sécurité dans les écoles ou de régler la circulation routière …

Les Égyptiens doivent-ils accepter tout cela, et pourquoi? Pour leur sécurité, qui ne être assurée que par la préservation de l ‘«État». Mais que vaut la “sécurité” dans ces circonstances?

Non, nous ne sommes pas mieux lotis.

Notes de l’auteur

1 SWP-Aktuell est la publication de la Fondation Économie et Politique , un laboratoire d’idées lié au ministère allemand des Affaires étrangères

2 Id.

[3] Id.

[4] Id.

[5] Id.

[6] http://bit.ly/2mu6MCj

7 Un grand nombre d’avocats représentant une coalition de partis de gauche et du centre.

8 http://bit.ly/2mvuVn0

9 Les sources d’information sur ces crimes contre les chrétiens sont des medias imprimés ou électroniques, mais principalement les articles du journaliste et chercheur  Nader Shokri.

10 Id. 1

11 https://www.amnesty.org/en/latest/news/2016/05/eu-halt-arms-transfers-to-egypt-to-stop-fuelling-killings-and-torture/

12        http://aufschrei-waffenhandel.de/AEgypten.542.0.html

[13]https://fas.org/sgp/crs/weapons/R44716.pdf

 NdE

*Zaouyia El Hamra : des affrontements entre Musulmans et Coptes avaient fait 17 morts, suite à la rumeur qu’un terrain destiné à une mosquée avait été dévolu à la construction d’une église. Suite à cela, Sadate avait fait arrêter 170 prêtres coptes et démis le pape Chenouda III de sa charge.

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